Des centres commerciaux, il y en avait déjà en France, mais le nombre d'ouvertures récentes tend à faire penser qu'on en manquait.
Etant allé visiter les trois derniers dans et autour de Paris, je me pose cette question à mille milliards d'euros : qu'est-ce qui fait que ça marche ou pas ?
Le premier élément de réponse est que ce ne sont certainement pas les campagnes de pub : toutes plus tragiques les unes que les autres, du "shopping 5 étoiles" au très GérarddeVilliersien dos dénudé de cette jeune femme, habitante du Front de Seine, tour Perspective 2, appartement 2304, qui nous fait frissonner derrière le cul de bus.
Non.
Le concept ?
Quel concept ? C'est quoi le "concept" ?
Un mélange d'emplacement, de taille, de fonctionnalités, de sélection d'enseignes dont celles que l'on pourrait appeler les "anchors" (celles qui aspirent le chaland) comme un hyper (Leclerc à So Ouest, Auchan à Aéroville, et un… Monoprix à Beaugrenelle).
Les marques exclusives ?
Mais c'est impossible de tout avoir. Il faut choisir.
A moi Hema, à toi Guerlain.
A moi M&S, à toi aussi M&S. Et à moi aussi !
A toi SuperDry (super nom), à moi Hollister.
A toi Bose, à moi Bose aussi.
Bon.
Mais je ne vais pas aller là-bas pour une seule enseigne.
Les services annexes ?
Un très beau food court / mall chez Aéroville (génial nom Aéroville. Logo pas terrible) mais où il faut faire une heure de queue pour manger des vongole chez Fratellini (celle du cirque ?!!) alors qu'il n'y a personne chez Prêt à Manger. Mais non.
Un endroit qui a "l'audace de réinventer le goût" chez So Ouest avec Dalloyau ?
Un Noura et le grand retour du Bermuda Onion, un marqueur mémoriel du XVème arrondissement, un amour des gestes et des savoir-faire chez Beaugrenelle ?
Alors quoi ?
D'abord constatons que l'inventivité semble être surtout mise au service de la sélection des enseignes. Aller trouver et signer ce qui est tendance, ni trop, ni trop peu. Pas trop niche. Pas trop mass non plus.
Que la fonctionnalité, les circulations, le repérage, cela reste encore quelque chose de bizarrement pas au top.
Pas de wifi. Enfin je veux dire que je n'ai pas réussi à me connecter en wifi avec mon téléphone. Jamais. Chez aucun des trois.
Pas de 3G non plus.
On peut passer des appels cela dit. C'est pas comme au Salon du Bourget.
Pas de parking 2 roues devant Beaugrenelle et des hordes de contractuelles névrosées alignant les scooters comme à la bataille d'Eylau.
On se frotte les yeux. On se gare sur le parvis devant les jonquilles où ça ne gêne personne et on se fait aligner. Mais c'est du suicide commercial. Enfin.
Je n'ai pas trouvé les places 2 roues à Aéroville. En revanche j'ai trouvé le sol peint à la laque glycérophtalique qui te fera remplacer ton rétroviseur si tes pneus sont mouillés du dehors.
On semble rester sur ce paradigme du concept, de la sélection, du cocktail, avec une dose d'identité qui se tient à la bonne distance de celle des enseignes.
On tente le geste architectural mais sans aller trop loin. Une trémie immense à Beaugrenelle qui permet de ne pas voir les magasins en dessous, qu'on ne pourra d'ailleurs pas atteindre car on ignore où vous dirigent les escalators.
Un labyrinthe chez So Ouest.
Un circuit en forme de je-ne-sais-pas chez Aéroville avec du personnel en tenue de personnel de vol façon Catch me if you can.
Oui, on étire sur le concept, comme de la guimauve.
On n'invente rien de réellement nouveau.
Avec le paradigme que dans "centre commercial", il y a centre et il y a commercial.
On pense transaction et "expérience".
Mais sont-elles si différentes ces expériences ?
Et est-ce que la transformation est bonne ?
J'ai lu que le taux de transformation des enseignes de bricolage est de 50% ! Cela veut dire que la moitié des clients repartent sans rien acheter.
La moitié ! Qu'en est-il de ces centres qui par ailleurs sont pleins, même si en effet, c'est l'affluence due à la nouveauté ?
Le paradigme de te faire venir, attendre dans ta voiture pendant une heure avant de rentrer dans le parking, monter les escaliers, circuler dans la passerelle extérieure de Beaugrenelle pour passer de Magnetic (!) à Panoramic (!!) qui te fait furieusement ressembler à un zombie dans le film d'Apple 1984, faire la queue une heure pour déjeuner, gifler tes enfants à intervalles réguliers, transpirer comme un pizzaiolo, te faire insulter (Mais attention madame enfin !) pour acheter une paire de chaussettes chez Uniqlo et rentrer regarder Groland en buvant un single malt pour se remettre.
Je ne vois rien de réellement innovant. Il y a plus de Sephora que par le passé et ça c'est réellement une bonne nouvelle mais à part ça.
Je pense en réalité - mais vraiment - que ce qui fait le succès d'un centre commercial, c'est quand les gens qui y vont ont l'impression de ressembler aux autres gens qui y vont et en sont contents.
C'est exister au sens de Berkeley c'est à dire "percevoir et être perçu".
C'est quand le centre permet aux gens de construire leur identité.
Quand les femmes sont contentes de se maquiller avant d'y aller et les hommes sont contents de ne rien faire du tout mais de regarder les femmes qui se sont maquillées.
Et pour cela, d'ailleurs rien ne vaut un grand magasin.
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